dimanche 5 avril 2015

Le jour où j'ai rangé, pour toujours, ma blouse blanche.

Dernier jour...Dernier jour....

Celui-là, je l'ai commencé à fond.
Les pieds bien ancrés.
Comme un jour, où tu te dois de tout donner.

Je n'ai pas osé leur dire que c'était le dernier.

- "Quand reviendras-tu la prochaine fois?"
- " Oooh tu sais, le mois prochain, je prends mes vacances et je pars assez loin."
(pas d'autres questions, ouf!)
- "Alors, profite bien, ma petite!"
(comme j'ai l'âge d'être "leur" petite, je le laisse m'appeler ainsi, ça leur fait plaisir et ça me rend proche d'eux, un peu plus... )


Certains le savent, parce que je les sens capables de comprendre ma décision.

C'est mon dernier jour.
J'arrête.
Je vais donner du temps à mon corps, laissé en suspens, pour récupérer de ces longs mois de fatigue et puis de maladie.

Me donner le temps pour mieux repartir.

Je suis épuisée de ces remplacements, c'est un travail bien lourd, bien trop lourd physiquement pour moi.
Je le savais, avant de commencer...
Mais comme d'habitude, je suis sourde, aveugle et j'ouvre les yeux quand je suis dans le mur.
Cette fois, le mur, c'est un mauvais bilan de santé.
Je suis dans l'obligation de ralentir.
J'ai deux boulots, je me déleste de celui qui me pompe le plus d'énergie. Puis, non seulement, il me bouffe le corps mais aussi le temps avec ma famille, et depuis des mois, j'en souffre.

C'est mon dernier jour, je crois que je n'envisage même pas qu'un jour, je pourrai y revenir.
J'ai fait et refait le tour de la question.

J'ai besoin de tourner la page pour raisons personnelles, dans mon cas mais aussi pour tout le reste qui me ronge à petit feu : les patients, les familles, les soins, le manque de soutien, la (non) considération, le (non) respect de ce que je suis, ce que je fais, la pénibilité,... mais c'est une autre histoire.

Revenons donc à cette dernière fois...

Je ne leur ai pas dit "au revoir" parce que je n'aime pas ça.
Je ne veux pas que Monsieur Kamil reprenne des antidépresseurs, je ne veux pas que Monsieur Albert pleure devant moi, comme l'avait fait Madame Lucienne quand je lui avait annoncé que je viendrais moins la voir, en raison de ma santé.

Je m'épargne aussi... Car je suppose que je n'en reverrai certains plus jamais.
Et puis, j'avoue que pour d'autres, ne plus les voir ne me fait ni chaud, ni froid. Et c'est sans doute réciproque.

Je vais juste emporter le meilleur de ce que j'ai connu avec eux.
Les jolis souvenirs et les rigolades et les émotions.
Je les porterais, donc, à jamais en moi.

Je ne peux pas lister tous les moments partagés, les échanges, les tasses de café brûlant...
Ces personnes qui m'ont appris la vieillesse, la sagesse, le recul, le lâcher-prise...

Et grâce à eux, j'ai pu toucher du doigt ce que ça peut faire d'avoir des grands-parents, en chacun d'eux, en chacun de leurs récits, j'apercevais tantôt Carmen ou Rosa, tantôt Eugène ou Rino, MES grands-parents...
Ce regard et l'expérience qu'ils ont sur la vie qui s'écoule, sur le passé, me servira toujours, dans ma vie personnelle comme dans ma vie professionnelle.

Cette dernière journée, finalement clôturée, je suis rentrée chez moi, consciente d'avoir fait le bon choix.

J'ai gardé la blouse blanche encore un peu sur moi, 1/2h... 1h...
J'ai un peu tourner en rond dans la maison, toujours avec cette blouse blanche.
Avant d'aller l'ôter, de prendre une douche comme je le fais toujours.

C'est sans trop de regrets que je me suis dis: c'est fini, plus jamais.






(J'ai griffonné ce texte, il y a près de 6 mois. Je l'ai un peu mûri avant de le déposer ici. Je crois que la fatigue me rendait plus amère par rapport à ce boulot que j'aimais malgré tout, mais qui me mettait en déséquilibre.)

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